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études-coloniales
10 mai 2007

Nicolas Sarkozy se dément (Claude Liauzu)

Diapositive1



"En commémorant l'abolition de l'esclavage,

Nicolas Sarkozy se dément"

Claude LIAUZU

historien et directeur du Dictionnaire de la colonisation française

(éditions Larousse)

12615954

 

Nicolas Sarkozy a assisté avec Jacques Chirac à la journée de commémoration de l'abolition de l'esclavage. N'est-ce pas un signe de continuité du travail de mémoire dans la politique française ?

12059193Claude Liauzu - Cela peut être vu comme cela. Je pense que Nicolas Sarkozy avait intérêt à s'afficher aujourd'hui aux côtés de Jacques Chirac, parce que ce dernier a eu un certain nombre de gestes qui ont fait avancer dans ces questions de mémoire. C'est vrai pour Vichy, en particulier. C'est vrai aussi de Madagascar, mais aussi de certains aspects de la guerre d'Algérie.

Sur la mémoire, Jacques Chirac a réalisé des avancées importantes, alors que dans son discours de campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy s'est opposé à toute repentance. Il a même affirmé que la France n'avait commis aucun crime contre l'humanité. Or, si l'on en croit la loi Taubira, et les Nations unies, l'esclavage est un crime contre l'humanité.
Nicolas Sarkozy joue sur l'équivoque du mot "repentance". C'est un mot désormais à la mode, qui a du succès, notamment à cause de certains livres, dont celui de Pascal Bruckner [La Tyrannie de la pénitence]. Si la repentance signifie la "haine de soi", pour reprendre une expression de Nicolas Sarkozy, bien sûr qu'il faut la rejeter. Mais ceux qui se jettent des seaux d'ordure ou de sang sur la tête, les masochistes, sont une petite minorité.

Pouvez-vous donner des exemples ?

Claude Liauzu - Il y a des excès, y compris chez certains historiens, qui veulent faire porter à la République le crime de la colonisation. Par exemple Olivier Le Cour Grandmaison, auteur de Coloniser, exterminer. Assimiler la colonisation à l'extermination, c'est absurde. La colonisation, c'est d'abord exploiter des territoires et non pas les détruire pour le plaisir.
Nicolas Sarkozy joue sur les mots : s'il veut dire que la France est au-dessus de toute critique, on ne peut pas le suivre. La preuve, c'est qu'il est allé se recueillir ce matin devant un monument en mémoire de l'esclavage.

 

Vous estimez que Nicolas Sarkozy se dédit en commémorant l'abolition de l'esclavage ?

Claude Liauzu - Il se dément lui-même, car il a dit que la France n'avait jamais commis de crime contre l'humanité... Mais le plus important, plus que l'esclavage, c'est l'Algérie. La guerre d'Algérie fait problème.
Sur ce point, Nicolas Sarkozy a fait beaucoup trop de promesses aux associations qui se réclament deisly_03 l'Algérie française. Par exemple dans le cas des morts de la rue d'Isly : il y a eu en mars 1962 une fusillade qui a fait une quarantaine de morts dans la population française d'Algérie, due à l'armée française. L'Organisation de l'armée secrète (OAS), opposée aux tout récents accords d'Evian et enfermée dans un quartier pied-noir d'Alger, Bab-el-Oued, avait appelé la population d'Alger à venir briser l'encerclement de l'armée française. La population s'est déplacée, s'est heurtée à un barrage de l'armée et a été victime de tirs, dans des conditions que l'on connaît mal. On pense qu'il y a dû avoir une provocation qui a déclenché les tirs de l'armée.

Ces morts sont regrettables, évidemment, mais Nicolas Sarkozy a promis de faire de ces victimes des "morts pour la France". Or la même demande de reconnaissance de "morts pour la France" a été formulée par les familles de six instituteurs assassinés la semaine précédente par l'OAS. Le gouvernement auquel participait Nicolas Sarkozy a refusé de les reconnaître.
Si l'on suit cette logique, on continue la guerre d'Algérie pendant encore cent ans. On ira vers plus de surenchère, de mécontentement, de demandes... C'est à cela qu'il faut mettre fin.

 

Le refus de la repentance n'était-il pas pour Nicolas Sarkozy un simple discours de campagne, qui sera suivi de peu d'effets ?

Claude Liauzu - On peut le penser, ne serait-ce que parce que les relations France-Algérie sontimg_energie nécessaires. C'est un pays riche en gaz et en pétrole, et nous en avons besoin. On peut penser que le discours de M. Sarkozy sur la repentance était destiné à s'attirer des voix du Front national.

Mais ce type de discours est dangereux car il peut favoriser des phénomènes de xénophobie, même s'il n'est pas suivi d'une politique. C'est exactement la même chose quand on parle des "quartiers" où l'on égorge des moutons, l'on excise des filles, etc. Tout cela est très dangereux.

 

Si vous étiez président de la République, que feriez-vous pour améliorer la politique de la France en matière de mémoire ?

Claude Liauzu - ll faudrait faire ce qu'on a fait pour la Shoah. Il ne s'agit pas de dire que la France est une puissance criminelle mais de reconnaître la réalité de crimes commis pendant la guerre d'Algérie en particulier. C'est nécessaire. Et pour le reste, qu'on laisse les historiens travailler pour établir la vérité et que les politiques fassent moins d'histoire.

 

Concrètement, une telle reconnaissance doit-elle passer par une loi ?

Claude Liauzu - Pas forcément. Je ne suis pas spécialement pour. Une déclaration publique forte, de la part d'un président, comme le geste de François Mitterrand tenant la main du chancelier allemand Helmut Kohl, peut avoir une très très grande portée.

 

Propos recueillis par Alexandre Picard
lemonde.fr, 10 mai 2007

 

26MARSRUEDISLY
massacre de la rue d'Isly à Alger, 26 mars 1962



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